2012年12月21日金曜日

Grands blancs de garde - cahier des charges



Qu'est ce qu'un grand vin blanc dans la tradition bourguignonne?
Quels sont les arômes nobles, c'est à dire ceux du terroir?
Comment réalise-t-on ces grands blancs de terroir?

Il n'y a pas de vérité absolue en matière de vin et l'oenologie est encore loin de tout expliquer. Voici néanmoins, en guise de réponses, quelques convictions acquises en discutant avec les vignerons et en dégustant.

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 1. Le goût
Qu'est ce que le goût du terroir et qu'est ce qui ne l'est pas?

Un bon terroir permet d'obtenir les bonnes maturités quelque soit les années. Les bons terroirs ont une signature aromatique, répliquable chaque année.

Voici ce que l'on recherche comme arômes caractéristiques des terroirs pour les grands vins blancs:

- Divers goûts de pierre, goûts salins, iodés, sylex... pour cette première famille de goûts il est commun d'évoquer la "minéralité" du vin. Le terme est très galvaudé et prête à confusion. Le type de goût en question est particulier à chaque parcelle et très lié à la nature des diverses sols argilo-calcaires jurassiques. Mais les minéraux du sol, eux-même, n'ont aucun goût...

- Certains arômes "nobles" que le Chardonnay peut développer en bouteille avec le temps ou après aération: amandes, dessert, crême brulée, fleurs blanches, noisettes fraiches, réglisse, fruits exotiques, fruits secs (abricots), etc... Encore une fois ces goûts sont très caractéristiques des climats. Il est très facile de s'en convaincre en goûtant: Chassagne, Puligny, Meursault, Corton... On peut bien énoncer quelques généralités en parlant de l'opulence aromatique des Chassagne, de la minéralité des Puligny ou de l'élegance des Meursault mais cela reflète mal l'hétérogénéité de cette mosaique de parcelles sur chaque appelation. Prenons l'exemple de Meursault: les vins de hauts de côteaux ressemblent souvent beaucoup plus aux Puligny 1er cru qu'aux vins du Nord de l'appelation... Et tout ceci s'explique essentiellement par la similarité des sols des parcelles. 

On peut également citer les arômes non recherchés et non liés au terroir:
- arômes de beurre qui virent rapidement au miel. Ces arômes sont simplement typiques des vins de Chardonnay oxydés à l'élevage... Bien qu'on puisse les apprécier ceux-ci ne doivent pas être trop masquants et n'ont rien à voir avec les terroirs. Un vin trop mielé est un vin fatigué/qui a mal évolué. 
- arômes fermentaires présents dans les vins jeunes et qui vont disparaitre au bout de quelques années.
- arômes oxydatifs du type curry, noix etc... i.e. le sotolon. Ce n'est tout simplement pas le registre aromatique des vins ouillés.
- mauvais arômes de réduction dus à des lies trop grossières type cacahuètes grillées
- arômes boisés
- autres défauts...

On peut noter une tendance -- commerciale -- à produire des vins beurrés/miellés et boisés ou sur des arômes fermentaires. Ces vins sont en fait faciles à réaliser, assez flatteurs, consommables rapidement... mais finalement assez vulgaires et surtout ils ne peuvent pas vieillir correctement. En témoigne le phénomène d'oxydation prématurée so called premox

J'apprécie particulièrement les vins qui reflètent leur terroir tout en présentant tout de même un petit peu du gras typique (glycérine) des Chardonnays ouillés, voir parfois de légères touches miellées. Ce savant équilibre se développe en bouteille avec les années sur plusieurs années.


2. L' équilibre (acidité/alcool).
Le vin doit être équilibré.

Mon avis est que l'on doit pouvoir apprécier un grand vin blanc sans jamais saturer parceque le vin est trop acide ou au contraire trop lourd. Un grand blanc n'est ni un vin d'apéritif, ni un vin de dessert. On doit pouvoir ne boire que ce vin et ne pas ressentir  le besoin au bout d'un verre ou deux de passer "enfin" au vin rouge...

Après la mode des vins opulents et lourds car peu acides, la mode est aux vins plus tendus avec des acidités beaucoup plus marquées. Beaucoup de vignerons coupent maintenant bien trop tôt et ramassent des raisins à peine mur, pensant que "pas assez mur" vaut toujours mieux que "trop mur".
Cette attitude peut aussi s'expliquer par un mauvais travail du végétal (voir plus loin). Enfin un Chardonnay ouillé manquant d'acidité se gardera généralement difficilement, par contre s'il est trop acide, il restera toujours acide.


3. Comment faire un grand vin blanc ouillé de terroir?
Quel est le process? Quelles sont les difficultés et points techniques cruciaux?

La recette en quelques mots clés:
- Bonne récolte: état sanitaire parfait, bonnes maturités phénoliques et alcooliques des raisins
avec de bonnes acidités;
- Élevage long en fût sur lies fines, peu interventionniste pour une oxydation maitrisée et une lente autolyse des lies.

Voici plus en détail la check-list du cahier des charges.

- Il est généralement possible vendanger relativement tard et récolter avec simultanément des bonnes acidités et des bonnes maturités. Mais pour ce faire, un bon travail à la vigne est préalablement nécessaire: le travail des sols favorisant les enracinements en profondeur semblent contribuer à l'obtention d'acidités des moûts satisfaisantes. Par contre les engrais (potasse) les font chuter, tout comme un mauvais état sanitaire des raisins. Attention donc, un chardonnay trop mur et commençant à se dégrader va très rapidement perdre son acidité. Il est donc impératif de ramasser à temps.
- Raisins ramassés en cagettes pour ne pas les écraser. Il n'est pas nécessaire alors de presser immédiatement les raisins pour éviter leur oxydation.
- Tri de la vendange: les raisins encuvés doivent être parfaits pour obtenir jus et lies de qualité.
- Pas de corrections acides sur le moût
- Chaptalisation de 0,5 degrés possible selon la maturité.
- Débourbage facultatif selon les années. Il est absolument fondamentale d'obtenir en quantité des lies de qualité.
- Fermentations alcooliques et malolactiques doivent être longues, toutes deux en fût.
La fermentation alcoolique est lente à température n'excédant pas 20 degrés, donc en petit fut 200 litres et en cave froide pour une régulation thermique "naturelle". (Je refuse les cuves inox thermorégulées.) Elle est généralement réalisée à 95% dans les deux mois, les 5 derniers % pouvant prendre une année. On n'utilise pas de levures sélectionnées pour les fermentations -- À quoi bon?.
- Les températures auxquelles s'effectuent les deux fermentations (et particulièrement les malolactiques) influent fondamentalement sur les profils aromatiques obtenus. En effet, une variation de température de deux degrés peut anhiler ou bien réactiver certains types de levures ou bactéries. 
- Les fermentations alcooliques et malolactiques doivent être toutes deux complètes.  Les fermentations se font sur deux hivers. À noter que les malolactiques démarrent parfois avant la complétion des fermentations alcooliques sans que cette situation soit problématique.
- Le vin est élevé sur lies fines. Celles-ci s'autolysent lentement et par diffusion transmettent alors au vin des arômes recherchés.
- Durant ce long élevage l'oxydation doit être maitrisée et limitée. Les fûts sont ouillés. Il faut intervenir le moins possible.  Le batônnage* est proscrit.  Un seul sous-tirage est effectué avant la mise. Les fûts neufs, plus poreux et la ventilation de la cave favorisent l'oxydation des vins.
On limitera donc l'utilisation des fûts neufs et la ventilation de la cave. Enfin pour ce qui est de l'oxydation des vins, la disposition des fûts en cave importe également.

On voit donc que la cave d'élévage des vins est très importante. L'expérience a montré que des fûts d'un même vin placés dans des caves différentes évoluaient différement. Ainsi des températures moyennes de cave de 11-12 degrés et de 13-14 degrés peuvent donner des vins franchement différents.  

- Après assemblage des différents fûts, on peut procéder à un léger filtrage et à un collage.
- Un peu de S02 est requis à la mise afin de préserver les vins d'une oxydation prématurée. Il faut viser alors sensiblement 30 à 40 mg/l de SO2 actif. Ce taux est généralement fixé expérimentalement par chaque vigneron et ce qui est acceptable dépend du process de vinification préalable.


4. Glossaire.

Batônnage. Technique consistant lors de l'élevage des vins à remuer les lies au fond de fût à l'aide d'un tige métallique ou "baton". Cela a pour effet de remettre les lies en suspension, d'augmenter la surface de contact lies/vin et d'oxygéner le vin. Cela produit des vins généralement au goût de beurre prononcé et ouvert dans leur jeunesse, et plus gras (glycérine). Il faut voir cette technique comme un biais pour obtenir les effets d'un élévage long avec un élevage court. Le batônnage est utilisé essentiellement pour des raisons économiques: le vin n'étant pas élevé pendant plus d'une année, il n'est pas nécessaire de stocker deux millésimes en cave. Le batônnage, fatigant en quelques sorte le vin, est suspecté d'augmenter sensiblement les risques d'oxydation prématurée.

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