Je pensais écrire un article sur les vins de terroir. Quels sont-ils? Qu'est ce qui les différencie des vins techniques? C'est alors que j'ai lu l'article Climats de Bourgogne un modèle de Terroir de Jacky Rigaux de l'Université de Bourgogne. J'ai tout de suite pensé que l'article contenait en grande partie les idées que je souhaitais exprimer et était remarquablement écrit. Il était inutile de tenter de le paraphraser misérablement et j'ai donc demandé à son auteur l'autorisation de le reproduire sur ce blog. Je remercie Jacky Rigaux de m'avoir donné son accord.
テロワールのワインについての記事を書こうと思い、ではそれは何か、テクノロジーワインとの違いは何か、と自問していたときに出会った論文が、ブルゴーニュ大学のJacky Rigauxの「ブルゴーニュのクリマ、テロワールの1モデル」です。この文章は常々私が主張していた考えの大部分を含み、とても良く書かれています。同じことをみずぼらしくも書き換えるのは無意味と思い、著者にこのブログに掲載することを直談判しました。快承くださったJacky Rigauxに感謝します。
Vous trouverez l'article en question ci-dessous reproduit. Il présente la notion de climats bourguignons, leur histoire, leur realité. Il décrit aussi les vins de terroir, les vins techniques, fait l'apologie des vinifications peu interventionnistes... (voir le paragraphe Eloge de la Paresse) et énonce quelques vérités quant au marché des vins. La bibliographie de l'auteur est donnée en fin d'article, à noter les nombreuses traductions en Anglais et Japonais.
そしてその論文を下に掲載しています。ブルゴーニュのクリマとは、またその歴史と実際について紹介しています。また、テロワールのワイン、テクノロジーワイン、出来るだけ人の手を加えないことが醸造では大切(「なまけの賞賛」の節を参照)・・・そしてワイン市場での真実の幾つかについても書いています。論文の最後の参考文献には、沢山の英訳と和訳も挙げられています。
J'espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à le lire. Une suggestion peut-être: faites-le avec un verre d'un bon Bourgogne... Bonne lecture et bonne dégustation!
私がこれを読んだとき同様に皆さんが楽しんでいただければと思います。敢えてアドバイスするならば、美味しいブルゴーニュのワインを片手に読んでいただくといいと思います。良い文と良いワインをお楽しみください!
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Climats
de Bourgogne, un modèle de terroir
Jacky
Rigaux, Université de Bourgogne
« Ici,
en Bourgogne, en une aventure millénaire, s’est construit un
vignoble très particulier,parcellisé et hiérarchisé presque à
outrance,où, comme nulle part ailleurs, la volonté obstinée de
relier le vin à son origine a été poussée et raffinée à
l’extrême. C’est ainsi que le « climat », œuvre
aboutie de cette construction conjuguée de l’homme et de la nature
sur une très longue période, peut être regardé comme l’archétype
du « terroir » pour toutes les viticultures du monde.»
(Aubert
de Villaine, Viticulteur, Domaine de la Romanée Conti, Président de
l’Association pour la candidature des climats du Vignoble de
Bourgogne au Patrimoine mondial de l’UNESCO, in Préface du livre,
Le Réveil des Terroirs, éditions de Bourgogne, 2010)
La
demande de classement de la Côte bourguignonne au patrimoine
culturel mondial de l’UNESCO au titre de « site culturel »,
sous le libellé « Les
climats du vignoble de Bourgogne »,
nous donne l’occasion de nous recentrer sur cette notion de
« climat », véritable originalité culturelle
bourguignonne et creuset de la notion de « terroir ».
Lors de la loi sur les appellations d’origine contrôlée (AOC)
dans les années 1930, la Bourgogne a opté pour la « hiérarchie
des climats », ces parcelles soigneusement délimitées depuis
fort longtemps, comme clé de voûte de son organisation viticole.
C’est donc la notion de climat
qui se transmet lors des héritages ou des ventes, et non celle de
marque
ou de château.
Ainsi, quand une parcelle de Clos
de Vougeot ou de
Montrachet
se transmet, elle garde son nom !
Issu
du grec klima,
qui signifie « inclinaison », ces « climats »
sont en pente douce et
offrent à la vigne qui y pousse l’inclinaison la plus favorable
aux caresses du soleil. Regardant fièrement l’est, protégés des
intempéries, ils en jouissent dès la naissance du jour et ils
emmagasinent pour la nuit, grâce à leurs précieux cailloux de
surface, la douce chaleur du jour…
Quand
les moines goûtaient la terre
Quand
le vignoble de la Côte s’appelait Pagus
Arebrignus, aux temps
gallo-romains, et qu’il dépendait de la puissante ville d’Autun,
il détrôna les vins vedettes de l’Antiquité, le Massicum,
le Falerne
et autre Ascalon.
Déjà les agronomes latins avaient pressenti ce que l’on appellera
« terroir » beaucoup plus tard. Virgile (70-19 av. J.C.)
et Pline (23-79 de notre ère), quant à eux, cherchèrent une
explication à l’excellence des vins du Pagus
Arebrignus.
C’est
Columelle, agronome latin du Ier
siècle de notre ère, qui est allé le plus loin dans l’esquisse
d’une première théorie du terroir :
« La vigne plantée sur les gras limons où se plaît le blé
donne un vin abondant mais inférieur »,
remarque-t-il. S’étant préoccupé du cépage le mieux approprié
pour donner de grands vins, il décrit avec une précision digne des
ampélographes modernes, le pinot noir : « La
petite et la meilleure de ces trois variétés se reconnaît à sa
feuille qui est beaucoup plus ronde que celle des deux premières.
Elle a des avantages car elle supporte bien la sécheresse, résiste
facilement au froid, pourvu qu’il ne soit pas trop humide. Elle
donne, dans certains endroits, des vins qui se conservent bien, et
elle est la seule qui, par sa fertilité, fasse honneur au terrain le
plus maigre. »
Un
peu plus tard, dans un panégyrique écrit en 312 à l’occasion de
la venue de l’empereur Constantin Auguste à Autun, on trouve
confirmation de la localisation des bonnes vignes sur l’actuelle
Côte : « Nous
n’avons pas ici l’avantage, comme en Aquitaine et en d’autres
provinces, de pouvoir trouver n’importe où l’espace nécessaire
à de nouvelles vignes, resserrés que nous sommes entre les
rocailles ininterrompues des hauteurs et les bas-fonds où la gelée
est à craindre... »
Quand
l’Empire romain chute, dans la deuxième moitié du Ve
siècle, ce sont les puissants évêques de Langres et d’Autun qui
se partagent ces fabuleux terroirs et confient aux moines-vignerons
bénédictins le soin de les restaurer et de les transcender. On sait
que ces religieux avisés, bénédictins par vocation, sont
aristotéliciens de culture : on doit à Aristote l’idée
qu’il pourrait y avoir des classifications naturelles du réel,
point de départ des sciences naturelles. Les bons moines classent
ainsi, avec une rationalité avisée, les différentes parcelles et
inventent les « climats » bourguignons.
Ils
vont appliquer avec la patience qu’on leur prête leur science
classificatoire, « goûtant
la terre » comme la
légende le rapporte. Ils consacrent ainsi le sol et le sous-sol
comme la matrice de ce que l’on appellera plus tard un terroir.
Si nous faisons l’expérience aujourd’hui, force est de constater
que les marnes mises en bouche n’ont pas le même goût que les
argiles. Les analyses chimiques, de nos jours, ont remplacé la
bouche : l’expertise sensorielle de la délimitation des
terroirs n’est plus ce qu’elle a été !
Il
y a « climat » et « climats »
En
choisissant d’appeler les parcelles ainsi classées « climats »,
les bénédictins consacrent également les éléments climatiques
comme facteurs essentiels du terroir. Il y a le climat d’ensemble
bien sûr, issu d’une subtile conjonction du climat maritime venu
de l’ouest, du climat continental-sibérien venu du nord-est et du
doigt méditerranéen monté du sud par le sillon rhodanien jusqu’à
Is-sur-Tille, au nord de Dijon. Ainsi les anciens considéraient le
Morvan comme la glacière de la Côte puisqu’il retient les pluies
et le froid venant de l’ouest. Ils aimaient à dire que la limite
des cigales était dans le Chambertin et ils se plaisaient à admirer
des plantes sibériennes sur les larreys froids des combes, et des
plantes méditerranéennes sur les larreys chauds situés en face à
quelques centaines de mètres. On appelle lareys
les coteaux des combes, l’un tourné vers le nord, l’autre
regardant le sud.
Les
moines bénédictins prennent cependant aussi conscience de ce qu’on
appelle aujourd’hui les micro-
et méso-climats,
c’est-à-dire ces subtiles variations de températures et de
précipitations qui existent sur de toutes petites distances. Ils
mesurent l’effet important des courants d’air venus des combes,
ces trouées générées par l’érosion dans les coteaux, l’aide
précieuse du vent du nord, et surtout la protection apportée aux
vignes par les coteaux pour leur éviter l’effet désastreux des
vents d’ouest qui n’apportent que misère !
Une
notion de grande actualité
De
nos jours cette notion de « climat » est d’une grande
actualité, et aussi d’une grande modernité. Plus précise que la
notion de « terroir », elle est le modèle de toute
viticulture qui cherche à valoriser l’originalité d’un vin né
d’un lieu capable de traduire, de transcender un cépage, et qui en
épouse toute la singularité. Ce vin, expression d’une culture, se
distingue des vins techniques « de cépages » où le
processus de fabrication l’emporte sur l’intérêt pour la
spécificité du lieu – des vins qui se ressemblent tous. « Le
mot climat
dit mieux et plus que le mot terroir,
a écrit Eric
Orsenna, membre de
l’Académie française.
Ainsi
la reconnaissance des vignes selon leur qualité est fort ancienne.
Annoncée dès les temps gallo-romains, glorifiée à l’époque
médiévale grâce au travail des moines bénédictins, magnifiée
par les clunisiens puis par les cisterciens, elle va être confortée
au siècle des Lumières grâce au livre de l’abbé Arnoux, La
situation des Vins de Bourgogne
publié en 1728, et à celui de Dom Denise, Les
Vignes et les Vins de Bourgogne,
traduit en italien en 1779, où sont dûment mentionnés les
« climats » les plus réputés.
Les
quatre niveaux du savoir
Deux
clés maîtresses permettent de comprendre la hiérarchie
bourguignonne des climats. Les Grands
Crus et les meilleurs
Premiers Crus
(climats historiques les
plus qualitatifs) sont toujours sur des méplats, c’est-à-dire en
des lieux légèrement pentus, ayant retenu les meilleurs limons,
regardant l’est, installés sur des roches restées en place. Les
meilleurs climats sont également situés dans des endroits bien
protégés des vents d’ouest et, comme on l’a dit, résolument
tournés vers l’est, ce qui favorise la maturation physiologique
naturelle des raisins, gage d’un parfait équilibre. Aucun des
Grands Crus,
aucun des Premiers
Crus prestigieux ne
se trouve dans le prolongement d’une combe, car le courant d’air,
bénéfique parfois pour sécher les baies, porte malgré tout trace
de l’humidité des vents d’ouest !
Seuls
les climats les plus qualitatifs sont ainsi reconnus de longue date
aptes à générer un vin qui porte leur nom. Ainsi les Grands
Crus sont-ils une
appellation d’origine contrôlée (AOC) à part entière :
Chambertin,
Clos de Tart,
Richebourg, Romanée-Saint-Vivant
ou Corton Charlemagne,
par exemple. Les Premiers
Crus, un cran en
dessous, auront le droit de mentionner leur nom sur l’étiquette,
mais en ajoutant le finage d’origine, par exemple Meursault
1er Cru - Perrières.
La mention « Appellation
d’Origine Contrôlée Premier Cru »
y figurera également. Certains climats classés en appellation
« Village »,
troisième niveau hiérarchique, sont reconnus suffisamment
qualitatifs pour exprimer leur singularité : ils pourront voir
figurer leur nom sur l’étiquette par tolérance de
l’administration, par exemple Marsannay
Grasses Têtes, Gevrey-Chambertin en Dérée ou
Meursault Les Clous.
Les
climats moins qualitatifs, mais capables de générer une viticulture
de qualité digne de recevoir le qualificatif « Appellation
d’Origine Contrôlée »
gagnent à être assemblés pour donner une cuvée de « finage »,
Chambolle-Musigny,
Nuits-Saint-Georges
ou Chassagne-Montrachet
par exemple, cuvée joliment nommée aujourd’hui « cuvée
ronde ».
Le
vieux terme « finage » désignait aux premiers temps du
christianisme une paroisse, puis par la suite un vignoble. Son usage
ne fut conservé que par les villages viticoles. Cela concerne la
grande majorité des appellations « Village »
de la Côte. Elles revendiquent tout simplement le finage d’origine
sur la bouteille : Vosne-Romanée,
Nuits-Saint-Georges, Aloxe-Corton, etc. Elles
expriment les qualités générales de leur vignoble de naissance.
Le
quatrième niveau hiérarchique bourguignon, nommé « Appellation
régionale », mentionne
rarement un nom de climat, sauf quelques exceptions qui confirment la
règle, comme il est d’usage en France ! Ainsi trouve-t-on, un
Bourgogne Notre Dame
sur Ladoix ou un Bourgogne
Montre Cul sur Dijon.
Certains vignerons n’hésitent pas à entrer dans cette brèche
ouverte par l’administration pour mettre en avant un Bourgogne
Pressonniers sur
Gevrey ou un Bourgogne
Les Bons Bâtons sur
Chambolle…
Eloge
de la paresse
Plus
on est en présence d’un lieu, d’un climat qualitatif pour la
culture de la vigne, plus le raisin arrive naturellement à sa
maturité physiologique optimale (maturité des peaux et des pépins),
moins il est nécessaire d’intervenir en vinification. « Pour
réussir un grand vin, il faut apprendre à être paresseux »,
aimait à dire un grand vigneron récemment disparu. Cette phrase est
la clé de la philosophie du terroir.
Ce
n’est pas l’éloge de la paresse qui serait ainsi l’apanage du
grand vigneron, mais plutôt la conviction qu’il faut savoir
s’effacer au bon moment devant le terroir. Quand on a fait tout le
travail nécessaire à la vigne pour qu’elle accouche d’un raisin
à la maturité physiologique optimale (mise en œuvre des « bonnes
pratiques »), que ce dernier a été cueilli avec soin
(vendanges à la main par maturité et non par commodité), qu’il a
été mis en cuve après un tri sévère, il convient alors de
devenir paresseux, c’est-à-dire d’intervenir le moins possible
pendant la vinification pour que chaque climat livre naturellement
toute sa complexité, son originalité, son caractère unique,
inimitable. C’est ainsi que le terroir et les climats
se révèlent.
Chaque
climat donne des raisins différents. Avant toute forme de
hiérarchisation, c’est déjà cette singularité, cette
originalité qui s’exprime avec régularité et constance, qu’il
convient de retenir. Ainsi, dès le départ des vinifications il doit
y avoir une véritable osmose entre le raisin et le vigneron. Plus on
intervient sur les raisins lors du processus de fermentation et de
cuvaison, plus on voudra donner une direction au vin en devenir, plus
celle-ci s’éloignera de celle que le raisin aurait prise
naturellement. N’oublions jamais que la nature n’a pas attendu
l’homme pour fonctionner. C’est ce que nous ont appris et
transmis les inventeurs de la rationalité, c’est-à-dire de la
science, au VIe
siècle avant Jésus Christ – les Thalès, Anaximandre et autres
Anaximène.
Un
vin « technique » est un vin auquel on a donné une
direction, qu’on a façonné en fonction d’un choix gustatif
réputé correspondre aux attentes du consommateur et distribué
grâce à la notion moderne de « marques », vantées par
les techniques de marketing. Ce sont des vins de consommateurs.
Un vin de terroir est un vin dont la trame et l’originalité sont
le fruit de la terre et du ciel : c’est un vin d’amateurs.
Moins
le terrain est favorable à la culture de la vigne, moins le raisin
arrivera naturellement à sa maturité physiologique optimale. Il est
nécessaire alors d’enrichir artificiellement le terrain, par
exemple à l’aide d’engrais chimiques, voire d’irriguer la
vigne, comme en Californie ou en Australie. Il faudra par ailleurs
davantage intervenir oenologiquement en cuverie : par
l’ « osmose inverse » (technique soustractive qui
permet d’éliminer une partie de l’eau contenue dans le moût et
de maintenir un haut niveau de rendement dans le vignoble) ; par
la cryoextraction
(qui permet de descendre les raisins à très basse température
avant de les presser, éliminant ainsi encore de l’eau, mais en
déséquilibrant le moût) ; par les concentrateurs ; par
les ajouts de produits chimiques, les levures et les tanins
industriels ; ainsi que lors de l’élevage par le
micro-bullage et autres artifices techniques...
Et
pourquoi les industriels des arômes ne pourraient-ils pas travailler
de concert avec les producteurs de vins ? L’adjonction
d’arômes est déjà autorisée dans de nombreux pays étrangers !
Des publicités circulent ici et là dans les médias français pour
attirer également les vignerons indépendants dans cette voie. La
branche des vins d’une grosse entreprise ne prévoit-elle pas
d’augmenter sa production de vin fabriqué par fermentation à
partir de levures marines, avec l’idée que ces dernières rendent
le produit plus fruité et plus léger ?
La
menace est à nos portes de voir certains viticulteurs reconstituer
en leurs chais ce que leurs vignes ne leur apportent plus à cause de
clones trop productifs, de rendements excessifs, de traitements
détruisant les levures naturelles, de pratiques culturales qui tuent
la vie dans les sols, signe de disparition de l’effet terroir.
Des
climats aux terroirs
Ainsi
la notion de « climat » est bien celle qui a mis la
viticulture sur la piste du « terroir », notion arrivée
plus tardivement sur la scène viticole. Dans son acception viticole
le mot terroir
date en effet des années glorieuses de la culture du vin au XIVe
le long de la Côte bourguignonne. L’utilisation de ce terme fut
d’abord imaginée pour désigner certaines propriétés viticoles
essentielles à la production des meilleurs vins de la célèbre
Côte, qui sera qualifiée « d’Or » au XIXe
siècle.
Le
terme de « terroir » s’est ensuite généralisé, sans
qu’on le traduise dans une autre langue. On l’utilise un peu
partout dans le monde de nos jours, pas toujours pour des lieux
capables d’enfanter de grands vins. Le mot « terroir »
implique toujours, cependant, l’existence de nombreux facteurs
physiques dans la production du vin, dont une certaine structure de
sol et de sous-sol, un bon drainage, une certaine nature d’argiles,
l’existence de composés chimiques tels le carbonate de calcium, le
magnésium, le fer, etc, qui interagissent selon des procédés
extrêmement complexes. On y ajoute souvent des conditions
climatiques particulières et des pratiques culturales spécifiques.
Bien
souvent la définition exclusivement physique du terroir sert à
corriger la nature en ajoutant artificiellement du magnésium et
autres composés jugés indispensables, en déformant le tracé
naturel des sites, ce qui perturbe le cheminement naturel des eaux,
en défonçant les sols, ce qui perturbe l’effet « terroir »
naturel. Bien sûr, ces techniques sont utilisées en premier chef
dans des endroits qui n’auraient pas naturellement une vocation de
terroir à vignes !
Ce
serait une grave erreur d’appliquer toutes ces techniques dans les
terroirs historiques, avec l’idée qu’ainsi on pourrait mieux
rivaliser avec les vignerons « émergeants ». Cela ne
veut pas dire, bien sûr, que les vignobles historiques, ceux de
Bourgogne en particulier, n’ont pas été façonnés par les
vignerons. Tous les terroirs sont bien sûr marqués par la main de
l’homme, mais une main douce respectueuse des équilibres naturels
de la nature. Si on a érigé des murs autour des « clos »
et des « climats » au Moyen Age, c’était pour éviter
leur envahissement par les différents prédateurs, sangliers,
chevreuils, lièvres et lapins ; c’était également pour
enlever les pierres gênantes pour le travail de la vigne et pour
retenir la chaleur du jour restituée la nuit par les pierres ainsi
soigneusement empilées. Et tout ceci ajoutait à la beauté du lieu.
Un terroir a toujours une dimension historique, culturelle et
économique. Sa dimension physique ne doit jamais être considérée
comme exclusive !
A
un usage extensif du vocable « terroir » doit s’opposer
une compréhension plus restrictive, celle que le moine cistercien
Dom Denise défendait déjà au XVIIIe
siècle : « La vigne qui produit les meilleurs vins de
Bourgogne est plantée au début du coteau, dans un plan doucement
incliné. » Les Grands Crus sont toujours localisés sur des
pentes douces, ces méplats qui sont des « pièges à limons »
comme aimait à dire Robert Lautel. Il disait également que les
meilleurs climats sont sur « le bon ventre de la pente » !
Dans
cette perspective, il convient de rappeler avec Dom Denise que la
notion de terroir est synonyme de hiérarchie des parcelles :
« Les vignes qui sont plantées en haut du versant ne
produisent pas un vin d’aussi bonne qualité que celles qui sont au
pied et sur la partie inférieure de la pente de cette même
colline. Les raisins des premières vignes ne donnent jamais la
même saveur que ceux des deuxièmes, et en conséquence ils ne
donnent pas un vin aussi bon. (…) Les vignes qui produisent les
excellents vins de Bourgogne sont plantées à mi-chemin entre la
plaine et la pente de la montagne, ni trop haut, ni trop bas. »
« Terroir »,
une notion extensive
Pour
illustrer un usage bien trop extensif du terme de « terroir »
de par le monde aujourd’hui, il suffit d’évoquer la recherche de
« terres nobles » esquissée par quelques « winemakers »
californiens. Ce terme se rapproche de celui de « climat »,
et procède de la même philosophie agronomique. « Il n’existe
au monde que deux types de vins : les vins de terre et les vins
de fabrication. », aime à dire un des chefs de file de ce
mouvement. Ainsi on commence à trouver des vins « issus de
vignobles désignés » en Californie, mais aussi au Brésil, au
Chili, en Nouvelle-Zélande, et même en Australie.
Fort
de cet intérêt grandissant pour la quête de « terres
nobles » un
peu partout dans le monde,
les grands vignobles historiques européens, ceux de Bourgogne en
particulier, auraient tord d’abandonner leur philosophie du
« climat » pour enfourcher les méthodes de la
viticulture industrielle ! La notion de climat
apparaît bien plus
précise que celle de terroir
pour la promotion
d’une viticulture de type « haute couture », une
viticulture qui offre des vins de caractère à la diversité
exceptionnelle.
La
notion de terroir
est extensible, celle de climat
ne peut l’être : elle oblige l’homme à une précision
d’orfèvre en matière de délimitation de lieux capables
d’enfanter de grands vins. La relation entre les lieux
(« lieux-dits », « climats ») est reconnue
depuis les débuts de la viticulture, comme l’atteste la lecture
des agronomes latins de l’Antiquité, ou celle des auteurs du Moyen
Age ou de la Renaissance. Albert Legrand, au XIIIè
siècle, résumait parfaitement cette conviction en écrivant :
« La vigne a cette propriété que les lieux changent beaucoup
sa saveur et sa nature ».
Enfin
le « gourmet » vint
Apparue
dès le XIIe
siècle, c’est au XVIe
que s’impose une nouvelle fonction de dégustateur, le « gourmet ».
Dès cette époque, la question de l’origine et de son respect est
affirmée. La fonction de gourmet ne pouvait émerger qu’en
Bourgogne, vignoble à la diversité d’expression la plus
extraordinaire qu’on puisse imaginer et dont les vins étaient
recherchés par tous les grands du moment ! « Les
vins de Bourgogne sont les plus grands vins de la chrétienté »,
peut on lire souvent sous
la plume des chroniqueurs.
Vers
le milieu du XVIè
siècle, les archives révèlent que les jurés-vignerons et les
jurés-tonneliers se voient déchus d’une prérogative, celle de
dégustateur,
qui devient alors une profession spécifique. Le gourmet
va jouer alors un rôle de tout premier plan dans l’organisation et
la commercialisation des vins. Comme le rapporte Jules Lavalle,
c’est lui qui, par la dégustation, doit fixer le prix du vin amené
sur le marché. C’est lui qui, par la dégustation encore, doit
vérifier si le vin a bien été récolté dans les climats
mentionnés par le
vendeur. C’est lui encore qui, toujours par la dégustation, doit
expertiser le vin pour décider s’il ne provient que du pinot ou
s’il est issu d’un mélange de pinot et de gamay. Le gourmet est
également capable de vérifier qu’on n’y a pas ajouté d’autres
vins provenant de millésimes différents de celui annoncé !
Pour
mieux organiser encore le commerce des vins de Bourgogne, le maire et
les échevins de Beaune promulguent en 1576 une délibération qui
stipule que tous les vins seront dorénavant dégustés et marqués,
les tonneaux jaugés. Dijon emboîte aussitôt le pas.
Dorénavant,
nul vin ne peut être mis en vente sans avoir été goûté et
reconnu. On rapporte que dans sa science, le gourmet était capable
de se prononcer presque infailliblement et qu’il se jouait des plus
grandes difficultés. Dans les archives de Bourgogne, on trouve trace
de nombreux procès qui furent jugés sur la seule autorité de ces
dégustateurs-jurés. Des procès verbaux et des saisies se faisaient
donc sur leur témoignage. Bien évidemment, on trouve également
mention, dans les archives de Dijon, de gourmets indélicats qui se
voient parfois condamnés et destitués de leur charge !
Pour
contrôler et moraliser encore mieux le travail de ces gourmets,
Pierre Delamare, conseiller du roi, maire et prévôt de Beaune, fait
voter à ses échevins en 1672 une nouvelle règle stipulant que les
gourmets et les courtiers doivent être élus chaque année, après
la fête de Saint-Pierre. Défense leur est faite également de se
présenter « au devant des marchands étrangers qui
s’acheminent en cette ville pour l’achat des vins, ni d’aller
les chercher aux hôtelleries ». C’est aux marchands de se
présenter à eux. Ils peuvent alors « les conduire fidèlement
par les caves et celliers, tâter et boire les vins avec eux, et ne
souffrir ni permettre acheter aucuns vins s’ils ne sont bons et
loyaux ».
Pour
consacrer l’importance des gourmets en terres bourguignonnes (ils
se généralisèrent un peu partout en Europe), une légende est née,
sans que personne ne sache aujourd’hui quand elle fut crée, celle
d’un gourmet si infaillible que ses collègues jaloux le mirent à
l’épreuve en faisant planter une vigne où, de mémoire humaine,
jamais un cep n’avait été planté. Dégustant le vin quelques
années plus tard, après quelques instants de doute, il déclara
sans ambages :
Désolé
messieurs, mais ce vin n’existe pas !
Michel
Serre, impressionné par cette histoire contée au Clos de Vougeot
lors de son intronisation comme chevalier du Tastevin, en fit une
version moderne dans un superbe livre, Les
Cinq Sens. Cette
belle histoire résume, à elle seule, la belle histoire et
l’originalité des climats bourguignons !
*
*
La
finesse dans la complexité, c’est ce qu’exprime un vin de
« climat ». De la puissance oui, car il est né de la
puissance du terroir ; mais une puissance qui ne se livre jamais
dans la brutalité, une vigueur civilisée qui se décline dans une
myriade de sensations tant visuelles qu’olfactives et gustatives.
Un vin vivant, un vin vibrant des multiples rebonds que le terroir
lui imprime ! Le goût et le charme d’un vin né d’une terre
particulière n’ont rien à voir avec son éventuelle supériorité
par rapport à un autre vin, mais se nichent dans la profondeur et la
subtilité de sa différence.
Pour
aller plus loin….
Rigaux (J.), Le
plaisir de déguster,
in Tastevin en main, N° 115 et 116, 2002 et 2003.
in Tastevin en main, N° 115 et 116, 2002 et 2003.
Rigaux (J.), Le
vin, symbole de culture,
in Tastevin en Main, N° 118, 2004.
(reprise augmenté de l’article « Le vin, symbole de culture,in Psychiatrie Française, Vol. XXVIII, 3/1997.)
in Tastevin en Main, N° 118, 2004.
(reprise augmenté de l’article « Le vin, symbole de culture,in Psychiatrie Française, Vol. XXVIII, 3/1997.)
Rigaux (J.),
L’homme et le vin, nous vieillirons bien ensemble,
in Cahiers du Cleirpa, N° 16, 2004.
in Cahiers du Cleirpa, N° 16, 2004.
Rigaux (J.),
Déguster ou analyser et noter,
in Tastevin en main, N° 121, 2006.
in Tastevin en main, N° 121, 2006.
Rigaux (J.),
Grands Crus de Bourgogne,
Tastevin en Main, N° 122, 2006.
Tastevin en Main, N° 122, 2006.
Rigaux (J.),
Henri Jayer, vigneron et artiste,
in Le Rouge et le Blanc, N° 83, 2007.
in Le Rouge et le Blanc, N° 83, 2007.
Rigaux (J.),
Domaine de la Romanée-Conti, La parole est aux terroirs,
in Spirit of the World, N° 2, 2006, pp. 96-100.
in Spirit of the World, N° 2, 2006, pp. 96-100.
Rigaux (J.), La
dégustation géo-sensorielle du gourmet,
in Tastevin en Main, N° 124, 2007.
in Tastevin en Main, N° 124, 2007.
Rigaux (J.), Le
terroir et le gourmet, un rituel de dégustation géo-sensorielle à
rétablir,
in Rencontres du Clos-Vougeot, Le vin et les rites, Oenoplurimédia, 2008, pp. 183-190.
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(J.), Le Terroir et le Vigneron,
Terre en Vues, Clémencey, 2006. (en Français, Anglais, Japonais)
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(J.), Les Grands Crus de Bourgogne,
Terre en Vues, 2007. (en Français et Anglais)
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(J.), Millésimes en Bourgogne,
Terre en Vues, 2007. (en Français et Anglais)
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(J.), Pouilly-Fumé, Perle de la Loire,
Terre en Vues, 2007. (en Français et Anglais)
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(J.), Gevrey-Chambertin, Joyau du Terroir,
Terre en Vues, 2008.
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(J.), Le Réveil des Terroirs, Défense et illustration des
« climats » de Bourgogne,
Préface d’Aubert de Villaine, Ed. de Bourgogne, 2010.
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(J.), Ode aux Grands Vins de Bourgogne, Henri Jayer vigneron à
Vosne-Romanée,
Editions de l’Armançon, 1997, (rééd. 2008) (en Français, Anglais et Japonais)
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(J.), Les Temps de la Vigne, Henri Jayer Vigneron en Bourgogne,
Terre en Vues, 2011.
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(J.), La Côte Chalonnaise et ses vignobles,
à paraître 2012.
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