2012年11月6日火曜日

Climats de Bourgogne, un modèle de terroir
      by J.Rigaux, Université de Bourgogne
ブルゴーニュのクリマ、テロワールの1モデル



Je pensais écrire un article sur les vins de terroir. Quels sont-ils? Qu'est ce qui les différencie des vins techniques? C'est alors que j'ai lu l'article Climats de Bourgogne un modèle de Terroir de Jacky Rigaux de l'Université de Bourgogne. J'ai tout de suite pensé que l'article contenait en grande partie les idées que je souhaitais exprimer et était remarquablement écrit. Il était inutile de tenter de le paraphraser misérablement et j'ai donc demandé à son auteur l'autorisation de le reproduire sur ce blog. Je remercie Jacky Rigaux de m'avoir donné son accord.

テロワールのワインについての記事を書こうと思い、ではそれは何か、テクノロジーワインとの違いは何か、と自問していたときに出会った論文が、ブルゴーニュ大学のJacky Rigauxの「ブルゴーニュのクリマ、テロワールの1モデル」です。この文章は常々私が主張していた考えの大部分を含み、とても良く書かれています。同じことをみずぼらしくも書き換えるのは無意味と思い、著者にこのブログに掲載することを直談判しました。快承くださったJacky Rigauxに感謝します。

Vous trouverez l'article en question ci-dessous reproduit. Il présente la notion de climats bourguignons, leur histoire, leur realité. Il décrit aussi les vins de terroir, les vins techniques, fait l'apologie des vinifications peu interventionnistes... (voir le paragraphe Eloge de la Paresse) et énonce quelques vérités quant au marché des vins. La bibliographie de l'auteur est donnée en fin d'article, à noter les nombreuses traductions en Anglais et Japonais.

そしてその論文を下に掲載しています。ブルゴーニュのクリマとは、またその歴史と実際について紹介しています。また、テロワールのワイン、テクノロジーワイン、出来るだけ人の手を加えないことが醸造では大切(「なまけの賞賛」の節を参照)・・・そしてワイン市場での真実の幾つかについても書いています。論文の最後の参考文献には、沢山の英訳と和訳も挙げられています。

J'espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à le lire. Une suggestion peut-être: faites-le avec un verre d'un bon Bourgogne... Bonne lecture et bonne dégustation!

私がこれを読んだとき同様に皆さんが楽しんでいただければと思います。敢えてアドバイスするならば、美味しいブルゴーニュのワインを片手に読んでいただくといいと思います。良い文と良いワインをお楽しみください!

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Climats de Bourgogne, un modèle de terroir

Jacky Rigaux, Université de Bourgogne


« Ici, en Bourgogne, en une aventure millénaire, s’est construit un vignoble très particulier,parcellisé et hiérarchisé presque à outrance,où, comme nulle part ailleurs, la volonté obstinée de relier le vin à son origine a été poussée et raffinée à l’extrême. C’est ainsi que le « climat », œuvre aboutie de cette construction conjuguée de l’homme et de la nature sur une très longue période, peut être regardé comme l’archétype du « terroir » pour toutes les viticultures du monde.»
(Aubert de Villaine, Viticulteur, Domaine de la Romanée Conti, Président de l’Association pour la candidature des climats du Vignoble de Bourgogne au Patrimoine mondial de l’UNESCO, in Préface du livre, Le Réveil des Terroirs, éditions de Bourgogne, 2010)


La demande de classement de la Côte bourguignonne au patrimoine culturel mondial de l’UNESCO au titre de « site culturel », sous le libellé « Les climats du vignoble de Bourgogne », nous donne l’occasion de nous recentrer sur cette notion de « climat », véritable originalité culturelle bourguignonne et creuset de la notion de « terroir ». Lors de la loi sur les appellations d’origine contrôlée (AOC) dans les années 1930, la Bourgogne a opté pour la « hiérarchie des climats », ces parcelles soigneusement délimitées depuis fort longtemps, comme clé de voûte de son organisation viticole. C’est donc la notion de climat qui se transmet lors des héritages ou des ventes, et non celle de marque ou de château. Ainsi, quand une parcelle de Clos de Vougeot ou de Montrachet se transmet, elle garde son nom !
Issu du grec klima, qui signifie « inclinaison », ces « climats » sont en pente douce et offrent à la vigne qui y pousse l’inclinaison la plus favorable aux caresses du soleil. Regardant fièrement l’est, protégés des intempéries, ils en jouissent dès la naissance du jour et ils emmagasinent pour la nuit, grâce à leurs précieux cailloux de surface, la douce chaleur du jour…

Quand les moines goûtaient la terre

Quand le vignoble de la Côte s’appelait Pagus Arebrignus, aux temps gallo-romains, et qu’il dépendait de la puissante ville d’Autun, il détrôna les vins vedettes de l’Antiquité, le Massicum, le Falerne et autre Ascalon. Déjà les agronomes latins avaient pressenti ce que l’on appellera « terroir » beaucoup plus tard. Virgile (70-19 av. J.C.) et Pline (23-79 de notre ère), quant à eux, cherchèrent une explication à l’excellence des vins du Pagus Arebrignus.
C’est Columelle, agronome latin du Ier siècle de notre ère, qui est allé le plus loin dans l’esquisse d’une première théorie du terroir : « La vigne plantée sur les gras limons où se plaît le blé donne un vin abondant mais inférieur », remarque-t-il. S’étant préoccupé du cépage le mieux approprié pour donner de grands vins, il décrit avec une précision digne des ampélographes modernes, le pinot noir : « La petite et la meilleure de ces trois variétés se reconnaît à sa feuille qui est beaucoup plus ronde que celle des deux premières. Elle a des avantages car elle supporte bien la sécheresse, résiste facilement au froid, pourvu qu’il ne soit pas trop humide. Elle donne, dans certains endroits, des vins qui se conservent bien, et elle est la seule qui, par sa fertilité, fasse honneur au terrain le plus maigre. »
Un peu plus tard, dans un panégyrique écrit en 312 à l’occasion de la venue de l’empereur Constantin Auguste à Autun, on trouve confirmation de la localisation des bonnes vignes sur l’actuelle Côte : « Nous n’avons pas ici l’avantage, comme en Aquitaine et en d’autres provinces, de pouvoir trouver n’importe où l’espace nécessaire à de nouvelles vignes, resserrés que nous sommes entre les rocailles ininterrompues des hauteurs et les bas-fonds où la gelée est à craindre... »
Quand l’Empire romain chute, dans la deuxième moitié du Ve siècle, ce sont les puissants évêques de Langres et d’Autun qui se partagent ces fabuleux terroirs et confient aux moines-vignerons bénédictins le soin de les restaurer et de les transcender. On sait que ces religieux avisés, bénédictins par vocation, sont aristotéliciens de culture : on doit à Aristote l’idée qu’il pourrait y avoir des classifications naturelles du réel, point de départ des sciences naturelles. Les bons moines classent ainsi, avec une rationalité avisée, les différentes parcelles et inventent les « climats » bourguignons.
Ils vont appliquer avec la patience qu’on leur prête leur science classificatoire, « goûtant la terre » comme la légende le rapporte. Ils consacrent ainsi le sol et le sous-sol comme la matrice de ce que l’on appellera plus tard un terroir. Si nous faisons l’expérience aujourd’hui, force est de constater que les marnes mises en bouche n’ont pas le même goût que les argiles. Les analyses chimiques, de nos jours, ont remplacé la bouche : l’expertise sensorielle de la délimitation des terroirs n’est plus ce qu’elle a été !

Il y a « climat » et « climats »

En choisissant d’appeler les parcelles ainsi classées « climats », les bénédictins consacrent également les éléments climatiques comme facteurs essentiels du terroir. Il y a le climat d’ensemble bien sûr, issu d’une subtile conjonction du climat maritime venu de l’ouest, du climat continental-sibérien venu du nord-est et du doigt méditerranéen monté du sud par le sillon rhodanien jusqu’à Is-sur-Tille, au nord de Dijon. Ainsi les anciens considéraient le Morvan comme la glacière de la Côte puisqu’il retient les pluies et le froid venant de l’ouest. Ils aimaient à dire que la limite des cigales était dans le Chambertin et ils se plaisaient à admirer des plantes sibériennes sur les larreys froids des combes, et des plantes méditerranéennes sur les larreys chauds situés en face à quelques centaines de mètres. On appelle lareys les coteaux des combes, l’un tourné vers le nord, l’autre regardant le sud.
Les moines bénédictins prennent cependant aussi conscience de ce qu’on appelle aujourd’hui les micro- et méso-climats, c’est-à-dire ces subtiles variations de températures et de précipitations qui existent sur de toutes petites distances. Ils mesurent l’effet important des courants d’air venus des combes, ces trouées générées par l’érosion dans les coteaux, l’aide précieuse du vent du nord, et surtout la protection apportée aux vignes par les coteaux pour leur éviter l’effet désastreux des vents d’ouest qui n’apportent que misère !

Une notion de grande actualité

De nos jours cette notion de « climat » est d’une grande actualité, et aussi d’une grande modernité. Plus précise que la notion de « terroir », elle est le modèle de toute viticulture qui cherche à valoriser l’originalité d’un vin né d’un lieu capable de traduire, de transcender un cépage, et qui en épouse toute la singularité. Ce vin, expression d’une culture, se distingue des vins techniques « de cépages » où le processus de fabrication l’emporte sur l’intérêt pour la spécificité du lieu – des vins qui se ressemblent tous. « Le mot climat dit mieux et plus que le mot terroir, a écrit Eric Orsenna, membre de l’Académie française.
Ainsi la reconnaissance des vignes selon leur qualité est fort ancienne. Annoncée dès les temps gallo-romains, glorifiée à l’époque médiévale grâce au travail des moines bénédictins, magnifiée par les clunisiens puis par les cisterciens, elle va être confortée au siècle des Lumières grâce au livre de l’abbé Arnoux, La situation des Vins de Bourgogne publié en 1728, et à celui de Dom Denise, Les Vignes et les Vins de Bourgogne, traduit en italien en 1779, où sont dûment mentionnés les « climats » les plus réputés.

Les quatre niveaux du savoir

Deux clés maîtresses permettent de comprendre la hiérarchie bourguignonne des climats. Les Grands Crus et les meilleurs Premiers Crus (climats historiques les plus qualitatifs) sont toujours sur des méplats, c’est-à-dire en des lieux légèrement pentus, ayant retenu les meilleurs limons, regardant l’est, installés sur des roches restées en place. Les meilleurs climats sont également situés dans des endroits bien protégés des vents d’ouest et, comme on l’a dit, résolument tournés vers l’est, ce qui favorise la maturation physiologique naturelle des raisins, gage d’un parfait équilibre. Aucun des Grands Crus, aucun des Premiers Crus prestigieux ne se trouve dans le prolongement d’une combe, car le courant d’air, bénéfique parfois pour sécher les baies, porte malgré tout trace de l’humidité des vents d’ouest !
Seuls les climats les plus qualitatifs sont ainsi reconnus de longue date aptes à générer un vin qui porte leur nom. Ainsi les Grands Crus sont-ils une appellation d’origine contrôlée (AOC) à part entière : Chambertin, Clos de Tart, Richebourg, Romanée-Saint-Vivant ou Corton Charlemagne, par exemple. Les Premiers Crus, un cran en dessous, auront le droit de mentionner leur nom sur l’étiquette, mais en ajoutant le finage d’origine, par exemple Meursault 1er Cru - Perrières. La mention « Appellation d’Origine Contrôlée Premier Cru » y figurera également. Certains climats classés en appellation « Village », troisième niveau hiérarchique, sont reconnus suffisamment qualitatifs pour exprimer leur singularité : ils pourront voir figurer leur nom sur l’étiquette par tolérance de l’administration, par exemple Marsannay Grasses Têtes, Gevrey-Chambertin en Dérée ou Meursault Les Clous.
Les climats moins qualitatifs, mais capables de générer une viticulture de qualité digne de recevoir le qualificatif « Appellation d’Origine Contrôlée » gagnent à être assemblés pour donner une cuvée de « finage », Chambolle-Musigny, Nuits-Saint-Georges ou Chassagne-Montrachet par exemple, cuvée joliment nommée aujourd’hui « cuvée ronde ».
Le vieux terme « finage » désignait aux premiers temps du christianisme une paroisse, puis par la suite un vignoble. Son usage ne fut conservé que par les villages viticoles. Cela concerne la grande majorité des appellations « Village » de la Côte. Elles revendiquent tout simplement le finage d’origine sur la bouteille : Vosne-Romanée, Nuits-Saint-Georges, Aloxe-Corton, etc. Elles expriment les qualités générales de leur vignoble de naissance.
Le quatrième niveau hiérarchique bourguignon, nommé « Appellation régionale », mentionne rarement un nom de climat, sauf quelques exceptions qui confirment la règle, comme il est d’usage en France ! Ainsi trouve-t-on, un Bourgogne Notre Dame sur Ladoix ou un Bourgogne Montre Cul sur Dijon. Certains vignerons n’hésitent pas à entrer dans cette brèche ouverte par l’administration pour mettre en avant un  Bourgogne Pressonniers sur Gevrey ou un Bourgogne Les Bons Bâtons sur Chambolle…

Eloge de la paresse

Plus on est en présence d’un lieu, d’un climat qualitatif pour la culture de la vigne, plus le raisin arrive naturellement à sa maturité physiologique optimale (maturité des peaux et des pépins), moins il est nécessaire d’intervenir en vinification. « Pour réussir un grand vin, il faut apprendre à être paresseux », aimait à dire un grand vigneron récemment disparu. Cette phrase est la clé de la philosophie du terroir.
Ce n’est pas l’éloge de la paresse qui serait ainsi l’apanage du grand vigneron, mais plutôt la conviction qu’il faut savoir s’effacer au bon moment devant le terroir. Quand on a fait tout le travail nécessaire à la vigne pour qu’elle accouche d’un raisin à la maturité physiologique optimale (mise en œuvre des « bonnes pratiques »), que ce dernier a été cueilli avec soin (vendanges à la main par maturité et non par commodité), qu’il a été mis en cuve après un tri sévère, il convient alors de devenir paresseux, c’est-à-dire d’intervenir le moins possible pendant la vinification pour que chaque climat livre naturellement toute sa complexité, son originalité, son caractère unique, inimitable. C’est ainsi que le terroir et les climats se révèlent.
Chaque climat donne des raisins différents. Avant toute forme de hiérarchisation, c’est déjà cette singularité, cette originalité qui s’exprime avec régularité et constance, qu’il convient de retenir. Ainsi, dès le départ des vinifications il doit y avoir une véritable osmose entre le raisin et le vigneron. Plus on intervient sur les raisins lors du processus de fermentation et de cuvaison, plus on voudra donner une direction au vin en devenir, plus celle-ci s’éloignera de celle que le raisin aurait prise naturellement. N’oublions jamais que la nature n’a pas attendu l’homme pour fonctionner. C’est ce que nous ont appris et transmis les inventeurs de la rationalité, c’est-à-dire de la science, au VIe siècle avant Jésus Christ – les Thalès, Anaximandre et autres Anaximène.
Un vin « technique » est un vin auquel on a donné une direction, qu’on a façonné en fonction d’un choix gustatif réputé correspondre aux attentes du consommateur et distribué grâce à la notion moderne de « marques », vantées par les techniques de marketing. Ce sont des vins de consommateurs. Un vin de terroir est un vin dont la trame et l’originalité sont le fruit de la terre et du ciel : c’est un vin d’amateurs.
Moins le terrain est favorable à la culture de la vigne, moins le raisin arrivera naturellement à sa maturité physiologique optimale. Il est nécessaire alors d’enrichir artificiellement le terrain, par exemple à l’aide d’engrais chimiques, voire d’irriguer la vigne, comme en Californie ou en Australie. Il faudra par ailleurs davantage intervenir oenologiquement en cuverie : par l’ « osmose inverse » (technique soustractive qui permet d’éliminer une partie de l’eau contenue dans le moût et de maintenir un haut niveau de rendement dans le vignoble) ; par la cryoextraction (qui permet de descendre les raisins à très basse température avant de les presser, éliminant ainsi encore de l’eau, mais en déséquilibrant le moût) ; par les concentrateurs ; par les ajouts de produits chimiques, les levures et les tanins industriels ; ainsi que lors de l’élevage par le micro-bullage et autres artifices techniques...
Et pourquoi les industriels des arômes ne pourraient-ils pas travailler de concert avec les producteurs de vins ? L’adjonction d’arômes est déjà autorisée dans de nombreux pays étrangers ! Des publicités circulent ici et là dans les médias français pour attirer également les vignerons indépendants dans cette voie. La branche des vins d’une grosse entreprise ne prévoit-elle pas d’augmenter sa production de vin fabriqué par fermentation à partir de levures marines, avec l’idée que ces dernières rendent le produit plus fruité et plus léger ?
La menace est à nos portes de voir certains viticulteurs reconstituer en leurs chais ce que leurs vignes ne leur apportent plus à cause de clones trop productifs, de rendements excessifs, de traitements détruisant les levures naturelles, de pratiques culturales qui tuent la vie dans les sols, signe de disparition de l’effet terroir.

Des climats aux terroirs

Ainsi la notion de « climat » est bien celle qui a mis la viticulture sur la piste du « terroir », notion arrivée plus tardivement sur la scène viticole. Dans son acception viticole le mot  terroir date en effet des années glorieuses de la culture du vin au XIVe le long de la Côte bourguignonne. L’utilisation de ce terme fut d’abord imaginée pour désigner certaines propriétés viticoles essentielles à la production des meilleurs vins de la célèbre Côte, qui sera qualifiée « d’Or » au XIXe siècle.
Le terme de « terroir » s’est ensuite généralisé, sans qu’on le traduise dans une autre langue. On l’utilise un peu partout dans le monde de nos jours, pas toujours pour des lieux capables d’enfanter de grands vins. Le mot « terroir » implique toujours, cependant, l’existence de nombreux facteurs physiques dans la production du vin, dont une certaine structure de sol et de sous-sol, un bon drainage, une certaine nature d’argiles, l’existence de composés chimiques tels le carbonate de calcium, le magnésium, le fer, etc, qui interagissent selon des procédés extrêmement complexes. On y ajoute souvent des conditions climatiques particulières et des pratiques culturales spécifiques.
Bien souvent la définition exclusivement physique du terroir sert à corriger la nature en ajoutant artificiellement du magnésium et autres composés jugés indispensables, en déformant le tracé naturel des sites, ce qui perturbe le cheminement naturel des eaux, en défonçant les sols, ce qui perturbe l’effet « terroir » naturel. Bien sûr, ces techniques sont utilisées en premier chef dans des endroits qui n’auraient pas naturellement une vocation de terroir à vignes !
Ce serait une grave erreur d’appliquer toutes ces techniques dans les terroirs historiques, avec l’idée qu’ainsi on pourrait mieux rivaliser avec les vignerons « émergeants ». Cela ne veut pas dire, bien sûr, que les vignobles historiques, ceux de Bourgogne en particulier, n’ont pas été façonnés par les vignerons. Tous les terroirs sont bien sûr marqués par la main de l’homme, mais une main douce respectueuse des équilibres naturels de la nature. Si on a érigé des murs autour des « clos » et des « climats » au Moyen Age, c’était pour éviter leur envahissement par les différents prédateurs, sangliers, chevreuils, lièvres et lapins ; c’était également pour enlever les pierres gênantes pour le travail de la vigne et pour retenir la chaleur du jour restituée la nuit par les pierres ainsi soigneusement empilées. Et tout ceci ajoutait à la beauté du lieu. Un terroir a toujours une dimension historique, culturelle et économique. Sa dimension physique ne doit jamais être considérée comme exclusive !
A un usage extensif du vocable « terroir » doit s’opposer une compréhension plus restrictive, celle que le moine cistercien Dom Denise défendait déjà au XVIIIe siècle : « La vigne qui produit les meilleurs vins de Bourgogne est plantée au début du coteau, dans un plan doucement incliné. » Les Grands Crus sont toujours localisés sur des pentes douces, ces méplats qui sont des « pièges à limons » comme aimait à dire Robert Lautel. Il disait également que les meilleurs climats sont sur « le bon ventre de la pente » !
Dans cette perspective, il convient de rappeler avec Dom Denise que la notion de terroir est synonyme de hiérarchie des parcelles : « Les vignes qui sont plantées en haut du versant ne produisent pas un vin d’aussi bonne qualité que celles qui sont au pied et sur la partie inférieure de la pente de cette même colline. Les raisins des premières vignes ne donnent jamais la même saveur que ceux des deuxièmes, et en conséquence ils ne donnent pas un vin aussi bon. (…) Les vignes qui produisent les excellents vins de Bourgogne sont plantées à mi-chemin entre la plaine et la pente de la montagne, ni trop haut, ni trop bas. »

« Terroir », une notion extensive

Pour illustrer un usage bien trop extensif du terme de « terroir » de par le monde aujourd’hui, il suffit d’évoquer la recherche de « terres nobles » esquissée par quelques « winemakers » californiens. Ce terme se rapproche de celui de « climat », et procède de la même philosophie agronomique. « Il n’existe au monde que deux types de vins : les vins de terre et les vins de fabrication. », aime à dire un des chefs de file de ce mouvement. Ainsi on commence à trouver des vins « issus de vignobles désignés » en Californie, mais aussi au Brésil, au Chili, en Nouvelle-Zélande, et même en Australie.
Fort de cet intérêt grandissant pour la quête de « terres nobles » un peu partout dans le monde, les grands vignobles historiques européens, ceux de Bourgogne en particulier, auraient tord d’abandonner leur philosophie du « climat » pour enfourcher les méthodes de la viticulture industrielle ! La notion de climat apparaît bien plus précise que celle de terroir pour la promotion d’une viticulture de type « haute couture », une viticulture qui offre des vins de caractère à la diversité exceptionnelle.
La notion de terroir est extensible, celle de climat ne peut l’être : elle oblige l’homme à une précision d’orfèvre en matière de délimitation de lieux capables d’enfanter de grands vins. La relation entre les lieux (« lieux-dits », « climats ») est reconnue depuis les débuts de la viticulture, comme l’atteste la lecture des agronomes latins de l’Antiquité, ou celle des auteurs du Moyen Age ou de la Renaissance. Albert Legrand, au XIIIè siècle, résumait parfaitement cette conviction en écrivant : « La vigne a cette propriété que les lieux changent beaucoup sa saveur et sa nature ».

Enfin le « gourmet » vint

Apparue dès le XIIe siècle, c’est au XVIe que s’impose une nouvelle fonction de dégustateur, le « gourmet ». Dès cette époque, la question de l’origine et de son respect est affirmée. La fonction de gourmet ne pouvait émerger qu’en Bourgogne, vignoble à la diversité d’expression la plus extraordinaire qu’on puisse imaginer et dont les vins étaient recherchés par tous les grands du moment ! « Les vins de Bourgogne sont les plus grands vins de la chrétienté », peut on lire souvent sous la plume des chroniqueurs.
Vers le milieu du XVIè siècle, les archives révèlent que les jurés-vignerons et les jurés-tonneliers se voient déchus d’une prérogative, celle de dégustateur, qui devient alors une profession spécifique. Le gourmet va jouer alors un rôle de tout premier plan dans l’organisation et la commercialisation des vins. Comme le rapporte Jules Lavalle, c’est lui qui, par la dégustation, doit fixer le prix du vin amené sur le marché. C’est lui qui, par la dégustation encore, doit vérifier si le vin a bien été récolté dans les climats mentionnés par le vendeur. C’est lui encore qui, toujours par la dégustation, doit expertiser le vin pour décider s’il ne provient que du pinot ou s’il est issu d’un mélange de pinot et de gamay. Le gourmet est également capable de vérifier qu’on n’y a pas ajouté d’autres vins provenant de millésimes différents de celui annoncé !
Pour mieux organiser encore le commerce des vins de Bourgogne, le maire et les échevins de Beaune promulguent en 1576 une délibération qui stipule que tous les vins seront dorénavant dégustés et marqués, les tonneaux jaugés. Dijon emboîte aussitôt le pas.
Dorénavant, nul vin ne peut être mis en vente sans avoir été goûté et reconnu. On rapporte que dans sa science, le gourmet était capable de se prononcer presque infailliblement et qu’il se jouait des plus grandes difficultés. Dans les archives de Bourgogne, on trouve trace de nombreux procès qui furent jugés sur la seule autorité de ces dégustateurs-jurés. Des procès verbaux et des saisies se faisaient donc sur leur témoignage. Bien évidemment, on trouve également mention, dans les archives de Dijon, de gourmets indélicats qui se voient parfois condamnés et destitués de leur charge !
Pour contrôler et moraliser encore mieux le travail de ces gourmets, Pierre Delamare, conseiller du roi, maire et prévôt de Beaune, fait voter à ses échevins en 1672 une nouvelle règle stipulant que les gourmets et les courtiers doivent être élus chaque année, après la fête de Saint-Pierre. Défense leur est faite également de se présenter « au devant des marchands étrangers qui s’acheminent en cette ville pour l’achat des vins, ni d’aller les chercher aux hôtelleries ». C’est aux marchands de se présenter à eux. Ils peuvent alors « les conduire fidèlement par les caves et celliers, tâter et boire les vins avec eux, et ne souffrir ni permettre acheter aucuns vins s’ils ne sont bons et loyaux ».
Pour consacrer l’importance des gourmets en terres bourguignonnes (ils se généralisèrent un peu partout en Europe), une légende est née, sans que personne ne sache aujourd’hui quand elle fut crée, celle d’un gourmet si infaillible que ses collègues jaloux le mirent à l’épreuve en faisant planter une vigne où, de mémoire humaine, jamais un cep n’avait été planté. Dégustant le vin quelques années plus tard, après quelques instants de doute, il déclara sans ambages :
Désolé messieurs, mais ce vin n’existe pas ! 
Michel Serre, impressionné par cette histoire contée au Clos de Vougeot lors de son intronisation comme chevalier du Tastevin, en fit une version moderne dans un superbe livre, Les Cinq Sens. Cette belle histoire résume, à elle seule, la belle histoire et l’originalité des climats bourguignons !

* *

La finesse dans la complexité, c’est ce qu’exprime un vin de « climat ». De la puissance oui, car il est né de la puissance du terroir ; mais une puissance qui ne se livre jamais dans la brutalité, une vigueur civilisée qui se décline dans une myriade de sensations tant visuelles qu’olfactives et gustatives. Un vin vivant, un vin vibrant des multiples rebonds que le terroir lui imprime ! Le goût et le charme d’un vin né d’une terre particulière n’ont rien à voir avec son éventuelle supériorité par rapport à un autre vin, mais se nichent dans la profondeur et la subtilité de sa différence.


Pour aller plus loin….
Rigaux (J.), Le plaisir de déguster,
     in Tastevin en main, N° 115 et 116, 2002 et 2003.
Rigaux (J.), Le vin, symbole de culture
     in Tastevin en Main, N° 118, 2004. 
    (reprise augmenté de l’article « Le vin, symbole de  culture,in  Psychiatrie Française, Vol. XXVIII, 3/1997.)
Rigaux (J.), L’homme et le vin, nous vieillirons bien ensemble
     in Cahiers du Cleirpa, N° 16, 2004.
Rigaux (J.), Déguster ou analyser et noter
     in Tastevin en main, N° 121, 2006.
Rigaux (J.), Grands Crus de Bourgogne
     Tastevin en Main, N° 122, 2006.
Rigaux (J.), Henri Jayer, vigneron et artiste
     in Le Rouge et le Blanc, N° 83, 2007.
Rigaux (J.), Domaine de la Romanée-Conti, La parole est aux terroirs, 
     in Spirit of the World, N° 2, 2006, pp. 96-100.
Rigaux (J.), La dégustation géo-sensorielle du gourmet, 
     in Tastevin en Main, N° 124, 2007.
Rigaux (J.), Le terroir et le gourmet, un rituel de dégustation géo-sensorielle à rétablir
     in Rencontres du Clos-Vougeot, Le vin et les rites, Oenoplurimédia, 2008, pp. 183-190.
Rigaux (J.), Le Terroir et le Vigneron
     Terre en Vues, Clémencey, 2006. (en Français, Anglais, Japonais)
Rigaux (J.), Les Grands Crus de Bourgogne, 
     Terre en Vues, 2007. (en Français et Anglais)
Rigaux (J.), Millésimes en Bourgogne
     Terre en Vues, 2007. (en Français et Anglais)
Rigaux (J.), Pouilly-Fumé, Perle de la Loire
     Terre en Vues, 2007. (en Français et Anglais)
Rigaux (J.), Gevrey-Chambertin, Joyau du Terroir
     Terre en Vues, 2008.
Rigaux (J.), Le Réveil des Terroirs, Défense et illustration des « climats » de Bourgogne, 
     Préface d’Aubert de Villaine, Ed. de Bourgogne, 2010.
Rigaux (J.), Ode aux Grands Vins de Bourgogne, Henri Jayer vigneron à Vosne-Romanée, 
     Editions de l’Armançon, 1997, (rééd. 2008) (en Français, Anglais et Japonais)
Rigaux (J.), Les Temps de la Vigne, Henri Jayer Vigneron en Bourgogne, 
     Terre en Vues, 2011.
Rigaux (J.), La Côte Chalonnaise et ses vignobles, 
     à paraître 2012.

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